J'ai épousé un communiste, de Philip Roth

Publié le 3 Février 2012

Jai-epouse-un-communiste.jpg

 

Bizarre, ce Philip Roth. J'avais beaucoup aimé Le complot contre l'Amérique. La tache avait été laborieuse. Là c'est pareil avec J'ai épousé un communiste (je me rends compte que je lis à l'envers sa trilogie américaine...): il y a des pages extraordinaires, où quelques lignes suscitent une forte admiration, des phrases que je trouve remarquables. Mais il y a, entre ces éclairs de génie, des dizaines de pages où il faut une sacrée ténacité pour avancer. J'ai dû commencer il y a un mois, ce qui, même avec peu de temps libre, est très long pour le lecteur que je suis. A nouveau, le texte serré, avec des césures bien trop rares (l'éditeur ne facilite pas les choses), est un obstacle significatif. D'autant qu'à la différence d'un Ian McEwan par exemple, ce roman n'a absolument aucun effet de suspense (à un point qui continue de m'étonner), et que je n'ai pas trouvé d'enjeu, ou, soyons gentils, d'enjeu pertinent pour le lecteur que je suis. Comme j'aime bien finir ce que j'ai commencé, j'ai ramassé le livre quand il m'est tombé des mains, j'ai espéré que les pages suivantes compenseraient les pointes d'ennui... Pour être honnête, les passages que j'ai beaucoup aimé ne suffiront pas à me faire vous le recommander...

 

J'ai épousé un communiste, c'est, en deux mots, Nathan Zuckerman, la soixantaine, qui discute avec son ancien professeur. Ce professeur était le frère d'Ira Ringold, star de la radio, quatrième mari d'une autre star, une actrice, Eve Frame. Ira a mené plusieurs vies. Il avait notamment des sympathies pour le socialisme ("le Parti Communiste"), ce qui, en ces années cinquante outre-Atlantique, ne correspond pas franchement aux convictions des "biens-pensants". Le texte se veut évidemment une dénonciation du maccarthysme (pour ceux qui auraient besoin de se rappeler ce dont il s'agit). L'auteur promeut bien entendu l'American Dream, avec un storytelling qui comprend un ascenseur social particulièrement performant. C'est un aperçu aussi des profonds changements de nos sociétés occidentales, avec notamment les questions et les conflits que posent les familles recomposées (parmi les célébrités, mais pas seulement); où resurgit ponctuellement l'antisémitisme; où les notions de loyauté et de délation sortent de l'abstraction...

 

Des sujets forts, malheureusement je n'ai pas adhéré à leur mise en mots.

 

Quelques extraits "brillants", quand même:

 

"Mais pourquoi ? La mesquinerie et l'inconsistance peuvent se présenter sur une grande échelle. Qu'y a-t-il même de plus stable que l'inconsistance et la mesquinerie ? Est-ce que ça empêche d'être rusé, d'être un dur ? Est-ce que la mesquinerie et l'inconsistance parasitent le désir d'être un personnage important ? Il n'est pas besoin d'avoir une vision du monde aboutie pour aimer le pouvoir. Il n'est même pas besoin d'avoir une vision du monde aboutie pour le prendre, ce pouvoir. A la limite, une vision du monde évoluée serait plutôt un handicap; ne pas en avoir peut se révéler un atout magnifique." (page 25)

 

"Voici ce qui reste lorsque tout est passé: le stoïcisme, qui tient sa tristesse en bride. Voici la retombée de la fiève. Pendant longtemps, la vie brûle, tout est tellement intense, et puis, peu à peu, la fièvre tombe, on refroidit, et puis viennent les cendres. L'homme qui m'a appris le premier à boxer avec un livre est revenu aujourd'hui démontrer comment on boxe avec la vieillesse. Et c'est un talent stupéfiant, un noble talent, car rien ne nous apprend moins à vieillir que d'avoir vécu une vie robuste." (page 117)

 

"J'étais loin de me douter à quel point j'étais moi-même docile, inhibé, soucieux de plaire jusqu'au jour où je vis Sylphid, soucieuse de déplaire; je ne me doutais pas de quelle liberté on jouit une fois qu'on affranchit son égoïsme de la peur des représailles sociales. Voici ce qui me fascinait: elle était redoutable. Je me rendais compte qu'elle n'avait peur de rien, et qu'elle cultivait volontiers la menace qu'elle représentait pour autrui." (page 186)

 

"Voilà un type dont la plus grande force était de savoir dire non. Il n'avait pas peur de dire non, et de vous le dire en face. Et pourtant, au Parti, il ne savait dire que oui." (pages 253-254)

 

"La littérature perturbe l'organisation. Non pas qu'elle soit de manière flagrante, voire subtile, pour ou contre quelque chose. Elle perturbe l'organisation parce qu'elle n'est pas générale. La nature intrinsèque du particulier, c'est d'être particulier, et la nature intrinsèque de la particularité, c'est de ne pas pouvoir être conforme. Quand on généralise la souffrance, on a le communisme. Quand on particularise la souffrance, on a la littérature." (page 309)

 


 

Pour en savoir plus:

Rédigé par davveld

Publié dans #Livres

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article