La saison des mangues introuvables, de Daniyal Meenuddin

Publié le 5 Janvier 2012

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Elle est jolie la couverture, vous ne trouvez pas ? En tous cas sans elle il est peu probable que je sois tombé sur ce livre... Un auteur américano-pakistanais, ça ne court pas les rues. Mais ce recueil de nouvelles gravitant à distance plus ou moins grande d'une famille a trouvé son public (plusieurs prix, 16 traductions depuis 2008). Ca évoque évidemment assez fortement le sous-continent indien, entre habitudes quasi-féodales et découverte un peu digne d'Icare de la modernité de la fin du vingtième et du début du vingt-et-unième siècle. Des maîtres qui dépensent sans compter, des serviteurs qui se servent, des jeunes qui aspirent à de meilleures vies, des amours tourmentées, rarement heureuses, une police peu fiable, un système politique "différent"...

 

C'est un univers à part, où nos repères ne valent pas grand'chose. Un monde que nous fait entrevoir l'auteur avec lucidité et tact. Il y a, comme le titre l'indique, un certain manque de mangues... mais on est à la fois pris par l'exotisme et la proximité du récit. Comme le fruit, les habitudes culturelles et les attitudes sociétales se mondialisent, ou plutôt s'occidentalisent (on ne s'aventurera pas à essayer de savoir si c'est "pour le meilleur").

 

"Dans cette maison, un domestique embauché depuis dix ans était considéré comme un bleu. Hassan était là depuis plus de cinquante ans, ainsi que Rafik, le valet du maître. Même le plus jeune des jardiniers, celui qui n'avait pas de nom, était là depuis quatre ou cinq ans. Avec moins d'un mois de présence, Saleema comptait pour du beurre. Et pas d'espoir de protection. Elle avait été engagée à l'essai, au service de la fille aînée du maître, la bégum Kamila, qui vivait à New York, mais qui était là pour passer le printemps chez son père. Et avec Kamila, hautaine et fière, pas question de s'autoriser des privautés." (Saleema, pages 36-37)

 

"A l'enterrement, mené comme il se doit avant le crépuscule, les deux fils se tinrent près de Makhdoom Talwan, le principal propriétaire terrien et homme politique de la région, élu de l'Assemblée nationale, qui dit à Shabir: 'Donc maintenant, c'est ton siège qui est en jeu pour la prochaine partielle.' A peine l'enterrement terminé, son chauffeur approcha la grosse Land Cruiser de l'ancien cimetière, bloquant le cortège funèbre. L'élu serra la main des deux fils, les yeux dans les yeux, puis repartit dans l'obscurité crépusculaire, sans avoir parlé de l'élection, ni offert son soutien. Shabir n'en alla pas moins rendre visite au grand homme. Les préparatifs pour l'élection avaient commencé, des groupes se formaient et circulaient, tissaient des alliances et marchandaient des votes. Rares furent ceux qui approchèrent Shabir, et seulement des poids plume. (...) Ayant fini par être reçu, le jeune héritier se vit désigner un siège dans une pièce sombre où on lui signifia d'attendre. Un serviteur lui apporta un verre de limonade avant de s'éclipser. Dix minutes plus tard, la masse énorme de Makhdoom Sahib, dans une kurta blanche immaculée et un turban attaché de façon à ce que l'un des pans frangés lui caresse le visage comme une aigrette, passa la porte. 'Bonjour, jeune homme ! lança-t-il, allègre mais essoufflé, avant de se laisser tomber sur un siège et de se caresser la panse comme pour la débarrasser de miettes. Alors comment ça va ? Comment ça se passe tout ça ?' Il posa quelques questions placides, écouta et parut apprécier que Shabir l'appelle 'Oncle'. Puis, profitant d'un silence au moment où Shabir allait plaider sa cause, Makhdoom Sahib se tourna vers lui et lui adressa un regard dur: 'Mon garçon, l'amitié est une chose, la politique, une autre. Je veux que tu comprennes bien la situation.' " (Donner, toujours donner, pages 112-113)

 

"Lily allait à des fêtes toute la semaine, tout le mois, elle buvait beaucoup, mais mangeait peu. Quittant le bar, elle traversa la pelouse, une coupe de champagne à la main, et s'arrêta pour jeter un regard sur les préparatifs en cours, le DJ qui installait sa platine, et les serveurs en veste blanche. Elle se sentait comme une actrice de théâtre itinérant, retrouvant une fois encore la même émotion, la même ivresse. Pour cette soirée sur le thème 'Nuit du tsunami', les serviteurs de son ami Mino avaient fait venir des camions de sable afin de créer une plage artificielle à côté de sa toute nouvelle maison de campagne, à Simly Dam. Installé au bord de l'eau, affalé sur un tapis dhurrie et calé contre un coussin, Mino faisait salon. Bien qu'il fût sans doute son meilleur ami, elle le trouvait ennuyeux, et décida que tout ce groupe était creux et faux - elle comprise-, à force d'évoluer d'une fête à l'autre, de prendre l'avion de ce qu'ils appelaient Isloo en direction de Karachi ou de Lahore et de poursuivre les rites du printemps, en dignes enfants de la jet-set... A Simly Dam, à une heure d'Islamabad au bout de mauvaises routes, se trouvait une poignée de maisons, toutes vides et éteintes, sauf celle-ci. L'endroit avait un air d'inachevé, le paysage était tout en rochers, en collines d'argile rouge et en falaises de pierre descendant jusqu'au lac. 'Mon Dieu, ces gens !' lança Mino sur un mouvement de dédain en direction d'un couple qui se faufilait vers le bar après l'avoir salué. 'Tu as vu un peu ces deux-là ? Papounet et sa petite... Faudrait de la dynamite pour qu'il la lâche...' " (Lily, pages 207-208)

 

 


 

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Rédigé par davveld

Publié dans #Livres

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