Eloge de l'énergie vagabonde, de Sylvain Tesson

Publié le 15 Mai 2007

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Ce livre m'a été prêté par une bénévole de PRSF. Pourquoi ce livre ? Mystère, mais c'était une très bonne idée. Sylvain Tesson m'était déjà familier, même si je ne le savais pas. C'est ce type qui a fait avec un autre voyageur un tour du monde à vélo, en trois ans environ, il y a de ça une dizaine d'années. Terres Lointaines, un magazine de type "Géo" (car chaque mois, on découvre un pays avec des photos à couper le souffle et des carnets de route très bien conçus) et "la Vie" pour le côté chrétien (catholique), pour un public des 10-15 ans, Terres Lointaines donc, auquel j'ai été abonné pendant de nombreuses années, relatait ce voyage extraordinaire.

Sylvain Tesson remet donc ça. Cette fois-ci, il veut suivre les chemins de l'or noir (le pétrole) et du gaz en Asie centrale jusqu'aux portes de l'Europe. Seul, à vélo principalement et un peu à pied. Des steppes de la mer d'Aral, en passant par la Caspienne, il suit le nouveau pipeline "BTC", inauguré il y a quelques mois (le voyage a été fait en juin-juillet 2006, quelques semaines après l'inauguration du pipeline), jusqu'à la Turquie. BTC, c'est pour Bakou, Tbilissi, Ceyhan.  Cinq pays: l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, et la Turquie.

Le texte, c'est celui des réflexions de notre voyageur. Carnet de routes, des étapes dans des villages plus ou moins accueillants, des difficultés dûes au soleil dans la steppe, des rencontres riches en humanités. Et, en fil rouge, des réflexions géopolitiques, philosophiques, anthropologiques, sociologiques, etc. autour de l'énergie. Cette énergie sans laquelle le monde serait bien différent. Passionnant.

Mais aussi très incisif. Parce qu'il est facile de critiquer les "majors" qui exploitent ces ressources, parce qu'il est facile de parler de gaspillages, mais quels actes en face des mots ? Extraits choisis.

"Elmira F., plasticienne, m'exposa longuement ses vues dans son appartement bourgeois du centre-ville, téléphone portable à la main (quelle quantité de pétrole nécessaire à sa fabrication ?). La grosse bagnole dans laquelle elle était venue me chercher était rangée dans le garage (combien de litres de fuel brûlés par an ?). Mais elle parlait avec conviction.
- Les Majors, disait-elle, c'est le mal absolu. Le profit pétrolier entretient les inégalités sur la planète, maintient les peuples dans l'esclavage. Les compagnies sont responsables de la misère des pays dans lesquelles elles prospèrent. Leur opulence ne provient pas de leur activité mais du pillage. Et le nouveau prolétariat de l'or noir privé d'espoirs se traîne sous les ciels réchauffés par les émissions de gaz à effets de serre.
(...) Elle me demanda si j'étais d'accord. Elle voulait à tout prix que je le fusse. La réussite du dîner en dépendait. (...) Je lui expliquai que j'avais horreur des discours indignés et ne croyait qu'à l'alignement des actions sur les idées. On ne critique pas l'exploitation du brut quand on vit sous les climatiseurs, au volant des voitures, et l'oreille au téléphone. Je suis incapable d'exposer en public une opinion généreuse. Je répugne aux déclarations de bonnes intentions. Je prends même plaisir à me rendre odieux en paroles car je ne crois qu'à la vertu dispensée discrètement, dans le secret des actes et le silence des pensées. Elmira me prit pour un salaud."
(p. 126 à 128)

"Les livres sont des barils de brut. En eux, dort la pensée. Elle est contenue entre les feuilles comme les hydrocarbures entre les strates. Pour se libérer, la force des mots attend le raffinage de la lecture."
(p. 146)

"Qu'imagine-t-elle, cette poignée d'Européens ultra-éduqués, dont les membres forment le boy's band du développement durable ? Que les discours citoyens, les actions individuelles, les comportements vertueux enrayeront le pillage des ressources ? Que pourront les intentions de quelques hommes lucides et de bonne volonté devant la course aux réserves ? Se rend-on bien compte de la charge énergétique contenue dans le marché de Rawalpindi, de la frénésie consommatrice d'une seule rue du quartier commerçant de Hong-Kong ou d'un quai du port de Bombay ? Se rend-on compte que des Moluques au Balouchistan, des milliards de postes de télévision serinent à des milliards d'enfants que le bonheur est dans le supermarché ? La télévision désigne le but: atteindre la prospérité de l'Occident. (...) La télévision jette de l'huile sur le feu de l'Envie. Le souhait d'accéder aux niveaux de vie occidentaux génère dans le coeur des hommes, de Bamako à Bogota, l'énergie la plus puissante qui soit, celle qui mène le monde selon René Girard: l'énergie du désir mimétique. Elle amène l'homme à lutter non pas tant pour l'objet que pour sentir la satisfaction de posséder autant que celui qui possédait autrefois plus que lui." (p. 193)

"Parons tout procès en défaitisme, toute accusation de nihilisme. Il y a une alternative à la tiédeur du développement durable. Des penseurs ont forgé la théorie de la décroissance. (...) Mais la théorie de la décroissance se heurte à un écueil incontournable. Personne ne veut initier le grand chantier du ralentissement. (...) En théorie, chacun est d'accord pour abaisser la température des moteurs de nos existences, vivre sans pétrole, bannir le plastique. Mais à la condition de ne pas être le seul. Aucun individu ni aucun peuple n'accepterait d'être le dindon de la farce, vivant chichement dans un poulailler où la fête continuerait. Décroître oui, mais pas seul. Et personne ne commencera." (p. 196 à 197)

Lucide, non ?

C'est décidé, cet été mes vacances consommeront moins d'énergie. J'ai envie de marche, propice à la réflexion, et de nature, parce qu'on ne sait pas s'il en restera dans quelques décennies. Voilà...

Rédigé par davveld

Publié dans #Livres

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