Tchatche ou crève, de Dorota Maslowska

Publié le 20 Mai 2009


J'avance significativement dans la partie "cadeaux d'anniversaire" de ma pile de livres à lire. Antoine et Aurélie m'avaient offert, outre Le secret de Copernic, le deuxième livre de Dorota Maslowska (oui, le thème commun est bien la Pologne). Le premier, c'était Polococktail Party, que j'avais commenté ici. Dorota Maslowska est cette très jeune auteure polonaise très controversée par la crudité de ses textes et l'amoralité de ses personnages - rien que ça. Je n'ai jamais lu Houellebecq, mais je pense le parallèle valable...

Dans Tchatche ou crève, on retrouve ce style; trois vulgarités par ligne, des phrases qui font une demi-page, et des personnages en perdition. Des agents musicaux abjects, des artistes odieux, des flics indéfendables, vraiment, il ne fait pas bon être un personnage de Maslowska. Pourtant, on s'étonne presque de trouver ces situations très vraisemblables, et d'ailleurs probablement trop réelles pour beaucoup de monde.

En quatrième de couverture, mais aussi vers la fin du roman, le narrateur signale que le texte gagnerait à ne pas être traduit, car il ternit l'image de la Pologne. Je comprends que pour certains Polonais - un peuple assez fier de son identité et de sa moralité - le livre soit perçu comme un brûlot. Je comprends au sens de "je suis conscient de la possibilité que". Pas au sens de "j'approuve". Parce que ce portrait au vitriol pourrait être celui de tout pays occidental. Toujours plus loin dans le "gore" pour les talks-shows de la télé ? Ca me parle. Pas de la Pologne, ou pas seulement. N'est-ce pas Jean-Luc D. (et plein d'autres) ? Une police qu'on a du mal à associer avec la notion de défense du bien vivre ensemble ? Ca me parle aussi. Encore une fois, rien à voir avec la Pologne. Des destins de misère, qu'on tente de noyer dans l'alcool ? Des ghettos subis ou choisis comme les gated neighbourhoods ? Des institutions qui se battent - maladroitement - pour être comprises, telle l'Union européenne, et des gens qui s'en moquent ? Des scènes underground débordantes d'inventivité, diabolisées car marginales, mais créatives car marginalisées ? Comment peut-on penser un seul instant qu'il s'agit d'un portrait de la Pologne ?

Maslowska nous parle de nos sociétés à la dérive. Crûment. Sans se voiler la face. Pour créer un électro-choc ? Je doute que ce soit le sens caché de ces textes. Mais même si ce n'est pas l'objectif, pourquoi pas, après tout ?

Extraits de Tchatche ou crève (paru en 2005 en Pologne, il a obtenu en 2006 le prix Nike, le Goncourt polonais - quand même - et a été traduit en 2008 en français); pour information, il s'agit de phrases relativement courtes par rapport à la moyenne du livre...

MC Doris sur son vélo, rongée par l'amertume: voilà pourquoi tu as déménagé dans ce quartier de Praga, pour déposer des gerbes de regards indifférents sur les autels de la tristesse, paysages pathologiques en mouvement, comme ces lampes-tableaux où dégouline une cascade, partout seulement des parodies de rêves que font les gens, je roule et je me dis: je m'en branle, et comme un fait exprès, elle voit en bas d'un immeuble, au numéro cinq, comment, d'un souffle, le vent éthylique balaye de la rue monsieur Wojtek, son voisin, qui a l'allure d'un ver solitaire, l'estomac enroulé sur les pieds, les flux trompeurs de l'alcool le privent de sa verticalité, la terre l'appelle, les griffes cruelles de la gravitation l'emportent, les forces féroces de l'invisible se le déchirent, les divinités souterraines affamées le tiennent par les chevilles malgré ses efforts convulsifs, tel le noyé qui attrape un brin de paille, pour s'accrocher aux lampadaires, aux panneaux, aux immeubles.


[...]


Ca, elle [Katarzyna] ne le sait pas, mais moi je le sais et je vais vous dire pourquoi, telles sont les prérogatives du narrateur d'un roman dans les conventions de la mise en abyme, il est un des happy few qui connaissent les ficelles de l'histoire, entre autres le quasi-immobilisme de cette automobile qui a quitté le commissariat, à quelques pâtés de maison de là, voilà plus d'une heure, et qui roule cependant plus lentement que si elle voulait s'arrêter, voire peut-être plus lentement que si elle reculait, elle roule à une vitesse mystérieusement non-vertigineuse, et pourtant avec la sirène, alors pourquoi elle se traîne comme ça, il y a d'étranges secrets qui lui ôtent qualités de braquage et talents cinétiques.


[...]


Dans le passage ci-dessus ont été présentés des événements qui se déroulaient au passé. Dans ce texte, ont été employés des mots tels que enculer, bordel, chierie et couille, ainsi que des variantes vulgaires d'expressions relatives à l'acte sexuel ou au terme pénis. Ce côté explicite et vulgaire a pour but d'inciter à la lecture des personnes qui n'auraient, sinon, jamais tenté de lire cet ouvrage, des personnes inintelligentes voire carrément mineures, des groupes scolaires ainsi que des personnes illettrées. Cela dans le but de les amuser, cela dans le but d'être drôle. Chacun trouvera dans cette chanson quelque chose qui lui sied. Cette chanson est sponsorisée par les fonds de l'Union européenne. On peut la lire à l'aide des lettres comprises dans l'alphabet. Vous trouverez des modèles pour chacune de ces lettres sur internet, sur www.lisezmoijeraconte.pl, ou par èssemesse.

 


Pour en savoir plus
L'auteur sur Wikipedia
Site éditeur (avec les premières pages à lire, c'est génial - voici un site éditeur très bien conçu !)

Rédigé par davveld

Publié dans #Livres

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